Méditation et bienveillance
Quelques pistes de réflexion et auteurs à (re)découvrir pendant nos vacances
Extrait bulletin France dépression Lorraine juin 2019
(Notes prises lors de la journée organisée à Lille à l’initiative de E. Marshall du magazine « Sens et santé », en partenariat avec le philosophe Fabrice Midal, et plusieurs intervenants, bouddhistes pour la plupart)
Fabrice Midal dénonce les idées fausses sur la méditation : la méditation, terme qui dérive du lat. meditari (soigner, cf. « médecin ») et s’apparente aussi à l’oraison chrétienne, s’est médiatisée et occidentalisée depuis 40 ans. Méditer pour lui n’est pas faire effort pour calmer son stress, c’est d’abord un acte de bienveillance envers soi-même afin de devenir bienveillant avec les autres ; ce n’est pas faire le vide dans sa tête, ni éviter ses émotions pour se calmer ou calmer les autres, ou augmenter ses performances au travail. Il ne s’agit pas de se calmer mais d’être en paix ; ce n’est pas de la pleine conscience c’est de la pleine présence à soi-même, aux autres, au monde : j’arrête de me dédoubler, voire de me déchirer en me regardant faire : j’arrête de me bombarder d’impératifs, de critiques ; je me connecte à mes émotions, les identifie (contrairement à l’attitude zen) ; je n’ai pas besoin de me monter calme, sensible, intelligent , « j’ai le droit d’être comme je suis, je ne me « chouchoute » pas, mais je m ’accepte : c’est une forme de réunification de l’être. Je dis « oui » à ce que je vis, même si c’est douloureux, je dis un « oui » chaleureux qui irradie, je dis « oui » au monde, ce qui se traduit par un déploiement de bienveillance en vue de susciter du bon chez l’autre : une forme de tendresse en quelque sorte … »
Boris Cyrulnik, éthologue et neuropsychiatre, apôtre de la résilience, va montrer que la bienveillance issue de l’empathie consiste à « se décentrer de soi pour avoir le plaisir de visiter l’autre » : à Sartre prétendant que « L’enfer c’est les autres, il répond que « Sans les autres, c’est encore pire ! ». Il faut savoir que la bienveillance s’acquiert dès la petite enfance à travers les premières relations de confiance avec un adulte. Même les animaux, comme les enfants souffrant d’abandonnite, s’ils vivent isolés, se replient sur eux et s’automutilent, préférant avoir mal plutôt que ne pas se sentir exister. L’impulsion pour donner le goût de vivre est donnée par la mère ou son substitut (que ce soit une grand-mère/ une nourrice/ ou même un homme attentionné etc.) Cette personne apporte une sécurité qui donne à l’enfant le goût de découvrir le monde. Cela permet aux fameux neurones miroirs, qui se développent lorsque la mère regarde son enfant ou lui montre des gestes à imiter, de ne pas rester inhibés. Dans un contexte normal, l’enfant est naturellement bienveillant, empathique. Le psychiatre donne l’exemple saisissant d’un important groupe d’enfants de 2-3 ans élevés dans de bonnes conditions affectives, à l’exception d’un seul qui a été témoin de violences entre ses parents. Tous les petits, mis en présence d’un adulte qui pleure, viennent spontanément le consoler; le seul enfant témoin de drames conjugaux, se met au contraire à battre l’adulte en question.
Les dérives du sadique ou du psychopathe viennent de ce qu’ils sont dépourvus d’empathie car ils vivent dans un monde sans altérité : le premier n’a de loi que son bon plaisir (pour le « divin marquis » les femmes ne sont que des « tubulures ») le second connait la loi mais n’en tient pas compte…
Catherine Gueguen, pédiatre formée à l’haptonomie (art de toucher, de créer une relation pour guérir ), renchérit en disant que des relations chaleureuses des adultes avec les enfants, en l’aidant à exprimer ses émotions, développent la partie du cerveau concerné , l’hippocampe, ainsi que les connexions entre les structures cérébrales ; toute maltraitance, tout comportement qui humilie, rabaisse ou fait peur à l’enfant, empêche son cerveau de fabriquer l’ocytocine qui permet l’empathie. Elle en distingue trois sortes :
–l’empathie affective : sentir, partager les émotions d’autrui sans être dans la confusion entre soi et l’autre
- l’empathie cognitive : comprendre les émotions de l’autre, savoir les interpréter ;
-la sollicitude qui nous entraîne à prendre soin de l’autre et à répondre à ses attentes de façon appropriée.
Marie Laurence Cattoire chef d’entreprise qui pratique et enseigne bénévolement la méditation depuis 13 ans affirme « la méditation m’a mise au centre de ma vie, » et demande : quel temps perdons nous à nous fuir nous-mêmes ? Ne ferions-nous pas mieux de consacrer du temps à nous rencontrer ? Elle préconise de « s’assoir en silence, accueillir ce qui arrive sans en faire une histoire, se laisser guider par son cœur, donner de l’air aux autres… » Elle cite Sharon Salzberg (écrivaine bouddhiste) : « La bienveillance aimante nous permet de nous appuyer sur notre propre fêlure afin de nous relier aux autres plutôt que de nous isoler »
Christophe Fauré psychiatre spécialisé dans les ruptures de vie (deuil divorce…) Lui-même enfant de divorcés, a voulu être l’« enfant sauveur » de sa famille, puis sauver les autres en devenant psychiatre. Epuisé, en proie au burnout vers 40ans, il fait deux ans de retraite dans un monastère bouddhiste, y retrouve la paix au point de vouloir embrasser cette forme de vie, ce dont les moines le dissuadent… et revient avec succès à son métier ! « Méditer c’est devenir familier de mon espace intérieur, chercher ma boussole intérieure, discerner ce qui est juste pour moi, reconnaître ce qui est grand en moi, bref me donner la paix pour pouvoir la donner au monde ». Même en période douloureuse, « ce n’est pas être dans le déni de sa souffrance mais pouvoir se dire qu’il y a en elle quelque chose de bénéfique »…
Marie de Hennezel psychothérapeute spécialiste du « bien vieillir » rappelle que Cyrulnik disait : « la vieillesse vient de naître ». A notre époque deux personnes sur 10 en effet, ayant atteint 90 ans, ont des chances de devenir centenaires. Cependant vieillir continue à faire peur : voir les pubs « anti âge », l’accent mis sur les pertes, la diminution, l’exclusion… Or nos enfants attendent de nous une vieillesse féconde, intéressante. Marie de Hennezel propose 4 clefs du « bien vieillir »
1/ Être une source : Le corps décline certes, mais la pensée croît, cf. ST Paul « Mon corps va à sa ruine mais mon être intérieur croît »
2/ Aimer son corps vieillissant, faire la différence entre sa corporéité et sa corporalité animée cf. Woody Allen « Quand je regarde à l’intérieur de moi je suis jeune » Le regard et le sourire ne vieillissent pas, ils peuvent rayonner ; or les yeux ne sont-ils pas le miroir de l’âme ?
Et si l’on devient dépendant ? Perdre son autonomie n’est pas perdre sa dignité ! On peut redécouvrir un nouveau plaisir, comme le disait un professeur d’université gravement atteint de la maladie de Charcot, « le plaisir ancien du bébé : je m’abandonne aux mains des autres » (à condition bien sûr qu'elles soient bien traitantes)
Ne pas se tromper de combat (M. de Hennezel s’appuie sur l’expérience personnelle de sa mère très âgée à qui certains veulent faire croire qu’elle remarchera) : il faut se battre contre sa tristesse et non pas vouloir retrouver une capacité physique qui ne reviendra plus
3/ Méditer sur sa finitude, sa mort. Que faire pour la vivre le mieux possible ? « Quel est notre « mandat céleste » ? (NDR : pour ceux qui y croit)
4/ Rester ouvert de cœur et d’esprit. Devenir donc source pour les autres, être une présence sereine, disponible, ouverte… Pratiquer un rituel de gratitude cf. Florence Servan Schreiber : noter chaque jour 3 ou 4 éléments positifs. On a demandé par exemple à trois groupes de personnes âgées de noter chaque jour dans le groupe 1/ les événements, dans le groupe 2/ les choses désagréables, dans le groupe 3-/ les choses agréables : au bout d’un mois, on n’observe aucun changement en 1 et 2, mais plusieurs problèmes somatiques résolus en 3 !
Quant à la méditation, M.de Hennezel dit s’être frottée à de nombreuses sortes de méditations. En définitive, elle a gardé « la méditation chrétienne, la plus profonde, la plus douce ». (NDR : pour ceux qui y croit)
Ilios Kotson, docteur en psychologie,
(cofondateur de « Emergences », spécialiste de l’intelligence émotionnelle)
Cet intervenant parle surtout en paraboles.
Le monde ne va pas bien donc à quoi sert de méditer dans un monde qui brûle ? Cela sert à prendre soin de l’outil que nous sommes : ne pas se couper de nos émotions, ne pas nous fier à ce que nous croyons voir (cf. : l’apologue de l’homme qui ne voyait que du linge sale sécher au dehors et se réjouit un jour de voir enfin du linge propre… le jour où sa femme a enfin nettoyé les vitres !) Nous nettoyer le cœur pour mettre notre énergie au service des autres, retrouver une vue juste et claire, « ramener le cul à la tête et la tête au cul, car notre tête nous transporte toujours ailleurs que là où nous sommes »
Il traduit ainsi notre devise française :
- Liberté : liberté d’être et de se dire
- Egalité : notre commune humanité
- Fraternité : notre interdépendance. La bienveillance c’est pour lui « notre maison commune », « une incitation à réveiller nos cœurs » au plus profond desquels nous trouverons « une boussole pour construire un monde pacifique et chaleureux ». Marie-Hélène Prêcheur